mercredi 12 novembre 2014

De l'immuabilité des choses

















Quel choc j’ai eu cette semaine !

La piscine de mon enfance n’est plus. Trois monstres mécaniques jaunes ont, sans pitié, mis fin à 54 ans d’histoire.

Et quelle histoire !  La piscine de Saint-Vincent-de-Paul (Laval) avait été inaugurée en grande pompe en 1960. J’ai revu ce matin, le film Super 8 du paternel. J’y étais cette journée-là, comme des milliers d’autres, pour assister à une cérémonie « hallucinante » comme on dirait aujourd’hui. L’évêque qui bénit la piscine, le maire qui y va d’un discours en trois langues, la fanfare de l’heure au Québec, qui descend progressivement, tout costumé, dans l’eau, des démonstrations de plongeon…

Saint-Vincent-de-Paul, c’est à l’époque, un village de 11 214 « âmes » (habitants). La piscine revendique le titre de la plus grande piscine extérieure en Amérique du Nord. Le succès est instantané. Des centaines de jeunes, dont je suis, prennent d’assaut, jour après jour, cette superbe piscine. Nous y passons tous nos après-midis d’été. Il faut arriver tôt pour se trouver une place où poser sa serviette. Et pour se dégager une place dans la piscine, il faut jouer du coude. Les « lifegards » sont du type «Alerte à Malibu». Pas de parasol, pas de crème solaire.

Revenons à Saint-Vincent-de-Paul. Ce village, qui sera intégré dans Ville de Laval en 1965, a une longue histoire qui remonte à 1740. Il est surtout connu pour son célèbre pénitencier à sécurité maximum (aujourd’hui on dit établissement ou centre de formation) et ses célèbres émeutes. Oui, à l’époque, pour s’évader de prison, il fallait créer de toute pièce une émeute, mettre le feu au bâtiment et tenter, dans la cohue, de se faufiler à travers les pompiers, pour trouver la sortie. Les gardiens étaient armés et se servaient de leurs armes. C’était avant la méthode « hélicoptère » beaucoup plus simple.

Revenons au maire de Saint-Vincent-de-Paul. Rodolphe Lavoie, n’a rien d’un timoré.  Lors d’une de ses promenades aux abords d’une immense carrière abandonnée, il imagine ce qui deviendra, quelques années plus tard, le Centre de la nature ». Je me rappelle la maquette présentée par le maire ; tout y est déjà, incluant bien sûr, cette superbe piscine.

Il faut dire qu’au début des années ’60, le Québec connaît une période d’effervescence. C’est le « Maître chez-nous » de Jean Lesage. On construit le métro de Montréal. On ne sait pas où mettre toute la terre dégagée par les tunnels du métro. Alors on construit une île (Île Notre-Dame) face à Montréal. On ne sait pas quoi faire de cette île. Alors on organise l’Exposition universelle de Montréal (Expo 67). Je résume là.

Les nouvelles écoles sont construites et livrées à un rythme d’enfer. Dans ma seule deuxième année du primaire (1960-1961), je fréquente 3 écoles complètement neuves, toutes situées à Saint-Vincent-de-Paul.


L’État québécois moderne se met en place. La Caisse de dépôt et placement est créée en 1965 et plusieurs autres institutions suivront. On nationalise l’électricité. Le fameux « modèle québécois » prend forme.

Suffit la nostalgie, suffit l’immuabilité


La méga piscine de Saint-Vincent-de-Paul a bien servi la population pendant plus de 50 ans. Mais depuis quelques années déjà, la fréquentation avait diminué et les coûts d’entretien augmentaient sans cesse. Pourtant, un peu comme le « modèle québécois », pour plusieurs, elle apparaissait immuable.

Je continue avec ce parallèle (piscine - modèle québécois), pour la suite des choses. Par quoi, on remplace la super piscine. Il y a deux approches :

  • L’approche traditionnelle du « modèle québécois » : Il faut respecter la part historique de Saint-Vincent-de-Paul dans l’offre totale de piscines publiques dans Laval, au moment de la fusion des villes en 1965. C’est un droit acquis. Alors on reconstruit cette piscine, telle quelle, peu importent les besoins ou les coûts. Pour contrer la faible fréquentation des baigneurs, il n’y a qu’à passer un règlement pour interdire les piscines privées résidentielles. C’est connu, ces piscines, apanage des riches, vont à l’encontre d’une utilisation respectueuse de l’eau (bien collectif), alors qu’une piscine publique, un peu comme un Centre de la petite enfance (CPE), favorise une plus grande socialisation des enfants et les prépare à mieux affronter les défis du futur.
  • La nouvelle approche, que j’aimerais voir : On ajuste l’offre en fonction des besoins (des besoins, pas de la demande) et de la capacité de payer et on évalue la compétitivité dans la livraison du service (public ou privé). Il faut voir au-delà de la piscine. Et si c’était une piste cyclable additionnelle ou un circuit d’hébertisme qu’il nous fallait, plutôt qu’une piscine.

Cet automne, nos habitudes et nos acquis seront questionnés, voire bousculés. Il appartient, à chacun d’entre nous, de continuer de vivre dans la nostalgie et l’immuabilité ou d’imaginer un futur meilleur pour les générations qui nos suivent.


La morale de l’essentiel consiste à laisser,
aux générations suivantes,
un monde qui mérite d’être vécu.

Kenzaburô Ôe

Au plaisir de lire vos commentaires.

Normand de Montigny

« Entreprendre, encore et toujours »

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