mercredi 22 août 2012

La culture du No-fault

30 septembre 2006, vers 11 h 00, je suis chez moi à lire ma Presse du Samedi, un de mes petits bonheurs dans la vie. J’ai aussi un œil sur RDI. Soudain, bulletin spécial : le viaduc du boulevard de la Concorde à Laval vient de s’effondrer. J’habite à 500 mètres de ce viaduc et y passe tous les jours. Cinq morts, six blessés, des vies et des familles brisées.


Quelques mois plus tard, dans sa déclaration d’ouverture de la Commission d’enquête, Monsieur Pierre-Marc Johnson, précise bien que le but de l’exercice n’est pas de trouver des responsables ou des coupables, mais bien de comprendre ce qui s’est passé. Le 15 octobre 2007, le rapport final conclut : l’effondrement a été provoqué par une série de facteurs combinés. Wow !

On s’empresse d’inspecter tous les viaducs du Québec. On en détruit quelques-uns rapidement, avant qu’ils ne tombent d’eux-mêmes et on entreprend un vaste programme de réfection qui, incidemment, permettra au Québec d’atténuer quelque peu les effets de la crise financière et économique qui suivra en 2008 et 2009.

13 octobre 1997, Jour de l’Action de Grâces, un car de touristes parti de Saint-Bernard, en Beauce, rate un virage dans une côte très prononcée du village de Les Éboulements dans Charlevoix : 44 morts.

Le rapport du coroner Luc Malouin conclura qu’il y trop de laxisme dans le contrôle routier au Québec. Le gouvernement décidera de refaire en entier la fameuse côte des Éboulements pour la rendre moins dangereuse.

Deux événements tragiques qui témoignent de la façon dont on neutralise ou aseptise toute approche visant à responsabiliser des personnes. En fait, on répercute, sur un ensemble obscur ou insaisissable, la cause ou les circonstances d’un événement ou d’une défaillance.

Il n’est pas rare de lire des titres dans les journaux (c’est vrai aussi à la télé) du type « La vitesse excessive est en cause » ou « Les conditions routières ont provoqué l’accident » ou « Le système a flanché ». Nul humain en vue ! Il y a pourtant un pied qui appuyait sur l’accélérateur de la voiture, pied répondant à une commande d’un cerveau, doté d’un ou de plusieurs neurones appartenant à un « dividu » comme dirait Claude Poirier.

Dans nos grands réseaux et institutions, compte tenu des normes et des conditions de travail, il devient de plus en plus difficile de rendre imputables des personnes pour des déficiences ayant des impacts sur la clientèle. À l’inverse même, il est parfois tout aussi compliqué d’appliquer une évaluation au mérite et de bonifier les conditions des plus performants.

Il y a déjà 50 ans, nous avons entrepris, au Québec, une révolution tranquille qui a, entre autres, consisté à transférer, à l’État, plusieurs fonctions jusque-là assumées par le privé, la famille ou le clergé. Dans ce transfert, bien souvent, la responsabilité s’est perdue « dans les algues marines ». On ne la retrouve plus. Nous sommes entrés dans une ère de « No-fault ».

La création de nombreuses structures, en sous-traitance, en partenariat ou autrement a fait en sorte que les activités des grandes institutions publiques et privées s’en sont trouvées éclatées, atomisées et inutilement complexifiées. Les papiers commerciaux adossés à des actifs (PCAA), ça vous rappelle quelque chose ?

On peut déléguer des activités, des fonctions, mais quelqu’un, à quelque part, doit assumer une responsabilité.

Au moment où nous nous apprêtons à élire nos députés à Québec, il est temps de remettre, à l’ordre du jour, la notion de responsabilité et de mettre fin à l’aveuglement volontaire qui nous caractérise. J’aurai l’occasion d’y revenir bientôt.

Au plaisir de vous lire.

Normand de Montigny

« Entreprendre, encore et toujours »

 

2 commentaires:

  1. Bien d'accord. Nous vivons dans la province du "no-fault" et c'est déplorable, personne ne se sent responsable de rien.

    Il y a des tas d’abérations ou d'erreurs graves et personne n'en est jamais responsable. Un exemple moins tragique: Quand les régimes de pensions vont s'écrouler puisque c'est insoutenable à long terme, qui sera responsable d'après vous? Les politiciens qui ont signé et mit en place un système clairement non viable à travers les génération afin de récolter quelques votes? Les syndicats qui demandent toujours de meilleures retraites, le plus tôt possible et 100% garanties svp?

    Ben non voyons! Ça sera de la faute de la bourse! Après tout, c'est elle qui aurait dû générer 10% de rendement sur 150 ans! Ils nous diront probablement que sur papier ça fonctionnait...

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    1. Les fonds de pension à prestation déterminée, c'est un sujet que je vais aborder bientôt. C'est un bel exemple d'aveuglement volontaire et de bombe à retardement. Il y a déjà des miliers de travailleurs et retraités du secteur privé qui ont écopé. Dans le secteur public, c'est hors contrôle et aucun politicien n'ose en parler (à part Régis Labeaume à Québec).

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