Je terminais, il y a
quelques jours, la lecture d’une imposante brique de 950 pages « Le
capital au XXIIème siècle » de Thomas Piketty. Cet ouvrage a
figuré, une bonne partie de l’année 2014, dans la liste des « best-sellers »
aux Etats-Unis ; un véritable exploit pour un économiste, français de
surcroît.
Les constats, les thèses
et les propositions de Piketty sont au centre de l’actualité internationale en cette
semaine qui voit l’élite mondiale se réunir à Davos en Suisse et le président
Obama livrer son Discours sur l’état de l’Union à Washington.
La répartition, de plus en
plus inégalitaire, de la richesse, entre un petit groupe de milliardaires et
des milliards de personnes vivant avec le minimum ou même sous le minimum, est
au centre des agendas politiques, du moins en Europe et en Amérique du Nord.
Piketty démontre,
statistiques à l’appui, qu’un tel écart de richesse s’est déjà produit dans
l’histoire. Il est d’ailleurs rafraichissant de se replonger dans Balzac (Le
Père Goriot) sous un angle économique ou financier. Toutefois, ces grands
écarts de richesse se sont amenuisés à la faveur de révolutions politiques ou
industrielles, de guerres ou de récessions économiques. Piketty nous amène
progressivement à l’idée que, cette fois-ci, seule une action internationale concertée pourra venir à
bout de l’écart « immoral » de richesse.
L’utopie Piketty
De là, la principale
proposition de Piketty : implanter un impôt annuel mondial et progressif
sur le capital, couvrant tout type de capital, financier ou immobilier.
Cet impôt permettrait de
plafonner, voire de réduire, la richesse des mieux nantis pour la redistribuer,
notamment via des services publics ou des protections sociales pour les plus
pauvres.
Il est très peu probable
qu’un tel impôt mondial devienne réalité un jour, c’est là le sort d’une
utopie. Ça n’empêche pas de travailler sur des mesures qui vont dans la même
direction, pour peu qu’on soit d’accord avec les constats et l’approche de
Piketty.
J’achète
Je partage certaines idées
de Piketty, notamment sur la transparence de l’information financière et
fiscale à l’échelle internationale et sur la lutte à l’évasion fiscale.
Il est plus
que temps que les principaux pays (représentés dans le G20) s’entendent et
appliquent des moyens concrets pour mettre fin à l’évitement fiscal et aux
paradis fiscaux. Pour ce faire, les autorités fiscales des différents pays
doivent faire preuve de transparence et s’échanger toutes les données requises
pour s’assurer d’une contribution équitable aux revenus fiscaux des états.
Déjà
plusieurs gestes ont été posés en ce sens, depuis quelques années, le plus
spectaculaire étant la Foreign Account Tax Compliance Act (FATCA) une loi imposée
maintenant par les États-Unis à ses principaux pays partenaires sur leurs
territoires nationaux.
J’achète également l’idée
qu’un trop grand écart de richesse, notamment à l’intérieur d’un même pays,
crée des tensions sociales. De plus, un capital qui n’est pas remis en
circulation (investi, consommé ou reprêté) peut être contre-productif par
rapport à l’économie. J’aurais aimé par contre que Piketty élabore plus son
argumentaire sur pourquoi un trop grand écart de richesse est dommageable
économiquement ; c’est à peine effleuré.
Évidemment, j’achète l’idée
de l’impôt progressif sur le revenu, tel qu’on le vit déjà au Québec, sinon je
vous écrirais depuis l’Alberta ou Monaco.
Les ratés de l’analyse
Piketty base sa proposition
d’imposer davantage le capital sur le fait que le capital croît plus rapidement
que les revenus du travail. Toutefois, dans son analyse des écarts de richesse,
il omet de considérer les revenus des individus provenant des transferts des
gouvernements (crédits d’impôts, pensions de vieillesse, soutien du revenu, etc.)
Il surévalue ainsi l’écart de richesse.
De la même façon, lorsque
Piketty évalue la richesse des grands milliardaires, il s’en remet à des
classements de revues spécialisées (Forbes) et omet de retrancher, du montant
brut de la richesse, les transferts faits par ces personnes via leurs dons ou
fondations. Il n’est pas anodin de noter que la moitié de la fortune de la
famille Gates (Bill et Melinda) est engagée dans des dons planifiés notamment
dans des projets de santé publique en Afrique et ailleurs. Il en va de même de
Warren Buffet et de 90 autres milliardaires engagés, dans le cadre de
« Giving Pledge » à donner la moitié de leur fortune à des œuvres de
charité. Dans un livre de 950 pages, l’auteur aurait pu consacrer quelques
lignes à cette réalité.
L’auteur fait, en quelques
lignes, l’apologie du printemps érable au Québec, en condamnant la hausse des
frais de scolarité demandée aux étudiants universitaires. Il oublie de
mentionner que le Québec dispose d’un très généreux et très progressif (au sens
fiscal) programme de bourses d’études.
Je n’achète pas
La nouvelle notion de
« Profits chanceux » créée par Piketty. L’auteur identifie ainsi les
profits réalisés par un entrepreneur du simple fait que son entreprise se situe
dans un secteur industriel en forte croissance (Biotechnologies, logiciels,
etc..). C’est un peu comme de dire que ces nouveaux secteurs ont été développés
par des extra-terrestres qui les auraient ensuite donnés en cadeau à des
entrepreneurs qui se trouvaient au bon endroit, au bon moment. Ce sont pourtant
des entrepreneurs qui ont créé ces nouveaux secteurs et qui ont pris les
risques.
Peut-être, aurait-il fallu
aussi, pour être conséquent, créer la nouvelle notion de « Pertes
malchanceuses ». Piketty oublie de coupler profit et risque, une notion
pourtant largement reconnue.
Ce que je n’achète pas,
c’est surtout la déresponsabilisation des individus et des familles
qu’entraînerait l’utopie Piketty.
Il ne faut pas s’y tromper,
l’aboutissement de l’approche Piketty et c’est bien campé dans l’analyse et les
propositions tout au long du livre, c’est de minimiser les patrimoines qui
pourraient s’accumuler au sein d’une famille et être transférés aux enfants héritiers
dans le temps.
En fait, même quand il est
question de retraite, c’est l’approche à la française qui est retenue, une
approche centralisée où la retraite publique universelle est privilégiée par
rapport à l’accumulation d’un patrimoine privé.
Il n’est pas anodin de
constater que dans la proposition d’impôt sur le capital de Piketty, l’épargne
accumulée pour la retraite par les individus serait imposée, mais que la valeur
actualisée du fonds de pension des employés du secteur public, c’est pourtant
un capital, ne le serait pas.
Au pays de l’utopie
Piketty, tous naîtraient avec un patrimoine minimal, seraient pris en charge
par l’État tout au long de leur vie (panier bonifié de services et de
programmes publics) et s’organiseraient pour mourir une fois leurs maigres
épargnes épuisées.
Je ne sais pas pour vous,
mais moi je préfère me responsabiliser financièrement pour mes vieux jours,
plutôt que de m’en remettre à l’État. Trouver
une place en CHSLD sera déjà tout un exploit dans 30 ans.
Au plaisir de lire vos
commentaires.
Normand de Montigny
« Entreprendre,
encore et toujours »