jeudi 22 janvier 2015

Dans le merveilleux monde de Piketty











Je terminais, il y a quelques jours, la lecture d’une imposante brique de 950 pages « Le capital au XXIIème siècle » de Thomas Piketty. Cet ouvrage a figuré, une bonne partie de l’année 2014, dans la liste des « best-sellers » aux Etats-Unis ; un véritable exploit pour un économiste, français de surcroît.

Les constats, les thèses et les propositions de Piketty sont au centre de l’actualité internationale en cette semaine qui voit l’élite mondiale se réunir à Davos en Suisse et le président Obama livrer son Discours sur l’état de l’Union à Washington.

La répartition, de plus en plus inégalitaire, de la richesse, entre un petit groupe de milliardaires et des milliards de personnes vivant avec le minimum ou même sous le minimum, est au centre des agendas politiques, du moins en Europe et en Amérique du Nord.

Piketty démontre, statistiques à l’appui, qu’un tel écart de richesse s’est déjà produit dans l’histoire. Il est d’ailleurs rafraichissant de se replonger dans Balzac (Le Père Goriot) sous un angle économique ou financier. Toutefois, ces grands écarts de richesse se sont amenuisés à la faveur de révolutions politiques ou industrielles, de guerres ou de récessions économiques. Piketty nous amène progressivement à l’idée que, cette fois-ci, seule une  action internationale concertée pourra venir à bout de l’écart « immoral » de richesse.

L’utopie Piketty

De là, la principale proposition de Piketty : implanter un impôt annuel mondial et progressif sur le capital, couvrant tout type de capital, financier ou immobilier.

Cet impôt permettrait de plafonner, voire de réduire, la richesse des mieux nantis pour la redistribuer, notamment via des services publics ou des protections sociales pour les plus pauvres.

Il est très peu probable qu’un tel impôt mondial devienne réalité un jour, c’est là le sort d’une utopie. Ça n’empêche pas de travailler sur des mesures qui vont dans la même direction, pour peu qu’on soit d’accord avec les constats et l’approche de Piketty.

J’achète

Je partage certaines idées de Piketty, notamment sur la transparence de l’information financière et fiscale à l’échelle internationale et sur la lutte à l’évasion fiscale.

Il est plus que temps que les principaux pays (représentés dans le G20) s’entendent et appliquent des moyens concrets pour mettre fin à l’évitement fiscal et aux paradis fiscaux. Pour ce faire, les autorités fiscales des différents pays doivent faire preuve de transparence et s’échanger toutes les données requises pour s’assurer d’une contribution équitable aux revenus fiscaux des états.
Déjà plusieurs gestes ont été posés en ce sens, depuis quelques années, le plus spectaculaire étant la Foreign Account Tax Compliance Act (FATCA) une loi imposée maintenant par les États-Unis à ses principaux pays partenaires sur leurs territoires nationaux.
J’achète également l’idée qu’un trop grand écart de richesse, notamment à l’intérieur d’un même pays, crée des tensions sociales. De plus, un capital qui n’est pas remis en circulation (investi, consommé ou reprêté) peut être contre-productif par rapport à l’économie. J’aurais aimé par contre que Piketty élabore plus son argumentaire sur pourquoi un trop grand écart de richesse est dommageable économiquement ; c’est à peine effleuré.

Évidemment, j’achète l’idée de l’impôt progressif sur le revenu, tel qu’on le vit déjà au Québec, sinon je vous écrirais depuis l’Alberta ou Monaco.

Les ratés de l’analyse

Piketty base sa proposition d’imposer davantage le capital sur le fait que le capital croît plus rapidement que les revenus du travail. Toutefois, dans son analyse des écarts de richesse, il omet de considérer les revenus des individus provenant des transferts des gouvernements (crédits d’impôts, pensions de vieillesse, soutien du revenu, etc.) Il surévalue ainsi l’écart de richesse.

De la même façon, lorsque Piketty évalue la richesse des grands milliardaires, il s’en remet à des classements de revues spécialisées (Forbes) et omet de retrancher, du montant brut de la richesse, les transferts faits par ces personnes via leurs dons ou fondations. Il n’est pas anodin de noter que la moitié de la fortune de la famille Gates (Bill et Melinda) est engagée dans des dons planifiés notamment dans des projets de santé publique en Afrique et ailleurs. Il en va de même de Warren Buffet et de 90 autres milliardaires engagés, dans le cadre de « Giving Pledge » à donner la moitié de leur fortune à des œuvres de charité. Dans un livre de 950 pages, l’auteur aurait pu consacrer quelques lignes à cette réalité.

L’auteur fait, en quelques lignes, l’apologie du printemps érable au Québec, en condamnant la hausse des frais de scolarité demandée aux étudiants universitaires. Il oublie de mentionner que le Québec dispose d’un très généreux et très progressif (au sens fiscal) programme de bourses d’études.

Je n’achète pas

La nouvelle notion de « Profits chanceux » créée par Piketty. L’auteur identifie ainsi les profits réalisés par un entrepreneur du simple fait que son entreprise se situe dans un secteur industriel en forte croissance (Biotechnologies, logiciels, etc..). C’est un peu comme de dire que ces nouveaux secteurs ont été développés par des extra-terrestres qui les auraient ensuite donnés en cadeau à des entrepreneurs qui se trouvaient au bon endroit, au bon moment. Ce sont pourtant des entrepreneurs qui ont créé ces nouveaux secteurs et qui ont pris les risques.

Peut-être, aurait-il fallu aussi, pour être conséquent, créer la nouvelle notion de « Pertes malchanceuses ». Piketty oublie de coupler profit et risque, une notion pourtant largement reconnue.

Ce que je n’achète pas, c’est surtout la déresponsabilisation des individus et des familles qu’entraînerait l’utopie Piketty.

Il ne faut pas s’y tromper, l’aboutissement de l’approche Piketty et c’est bien campé dans l’analyse et les propositions tout au long du livre, c’est de minimiser les patrimoines qui pourraient s’accumuler au sein d’une famille et être transférés aux enfants héritiers dans le temps.

En fait, même quand il est question de retraite, c’est l’approche à la française qui est retenue, une approche centralisée où la retraite publique universelle est privilégiée par rapport à l’accumulation d’un patrimoine privé.

Il n’est pas anodin de constater que dans la proposition d’impôt sur le capital de Piketty, l’épargne accumulée pour la retraite par les individus serait imposée, mais que la valeur actualisée du fonds de pension des employés du secteur public, c’est pourtant un capital, ne le serait pas.

Au pays de l’utopie Piketty, tous naîtraient avec un patrimoine minimal, seraient pris en charge par l’État tout au long de leur vie (panier bonifié de services et de programmes publics) et s’organiseraient pour mourir une fois leurs maigres épargnes épuisées.

Je ne sais pas pour vous, mais moi je préfère me responsabiliser financièrement pour mes vieux jours, plutôt que de m’en remettre à l’État.  Trouver une place en CHSLD sera déjà tout un exploit dans 30 ans.



Au plaisir de lire vos commentaires.

Normand de Montigny

« Entreprendre, encore et toujours »